Un giornalista francese (Le Monde) è andato a curiosare nel data center di Facebook per l’Europa e i suoi 310 milioni di utenti (su un miliardo e 600 mila al mondo).
Siamo a Lulea, Svezia, vicino al Circolo Polare Artico.
Ecco il resoconto:
Visite exceptionnelle dans le data center de Facebook, en Suède
LE MONDE
| 03.06.2016 à 06h41
- Mis à jour le 06.06.2016 à 09h48 |Par Yves Eudes (Lulea (Suède), envoyé spécial)
Lulea, au nord de la Suède, près du cercle polaire, un jour de printemps glacial et neigeux. Le « data center » (centre de données) de Facebook, installé à la sortie de la ville, est peint en couleurs neutres et ne porte aucune enseigne. Mais il a du mal à passer inaperçu : il mesure 320 mètres de long, 100 de large et 30 de haut. Sa superficie équivaut à dix-sept patinoires de hockey sur glace, ont calculé les Suédois.
C’est ici que, depuis 2013, est traitée une part importante des requêtes des 310 millions d’utilisateurs européens de Facebook (sur un total mondial de 1,65 milliard) et que sont stockées temporairement leurs données – textes, photos, vidéos…
A l’intérieur, le bâtiment est divisé en quatre salles contenant des dizaines de milliers de serveurs, rangés sur de hautes étagères et baignant dans une lumière bleue futuriste. Leur nombre exact et leur puissance de calcul sont des secrets industriels. Chez Facebook, la transparence s’applique aux utilisateurs, pas à l’entreprise…
Le lieu est un peu bruyant, mais il est d’une propreté absolue. Aucun objet ne traîne nulle part. Il est aussi quasiment désert. Joel Kjellgren, le directeur du site, explique que les équipes de maintenance sont rarement obligées d’intervenir :
« Nos serveurs sont dotés de systèmes d’autoréparation. Quand l’un d’entre eux tombe en panne à cause d’un bug, le réseau interne le détecte, établit un diagnostic, et le répare. »
Pour prouver la robustesse de l’ensemble, il débranche une machine : « Le système va constater qu’elle est manquante et redistribuer automatiquement la charge de travail. » Pour assurer une présence humaine minimale 24 heures sur 24, le centre emploie près de 150 personnes. A intervalles réguliers, des équipes de techniciens viennent des Etats-Unis pour des opérations de maintenance.
Lire aussi : Les data centers, clés de voûte du réseau
Raccourcir le parcours des données
Joel Kjellgren est fier de son système de ventilation. « Comme chacun sait, dans le nord de la Suède, il fait très froid une grande partie de l’année. Pour nous, c’est idéal », dit-il.
D’ordinaire, les data centers sont confrontés à un problème complexe : ils dégagent énormément de chaleur, ce qui perturbe le fonctionnement des serveurs. Ils doivent donc construire des systèmes de climatisation puissants, qui dépensent parfois autant d’électricité que les ordinateurs eux-mêmes.
Or, à Lulea, le refroidissement des machines est simplement assuré par le vent polaire. L’étage supérieur du bâtiment est occupé par une batterie de ventilateurs qui aspirent l’air du dehors. Celui-ci est ensuite filtré, puis humidifié, et mélangé avec la chaleur dégagée par les ordinateurs, afin de maintenir la température intérieure entre 20 et 22 °C. Résultat : 90 % de l’électricité consommée ici sert à alimenter les ordinateurs.
Autant que possible, les requêtes des utilisateurs du Vieux Continent sont traitées à Lulea pour raccourcir le parcours des données, mais ce n’est pas systématique. Tout dépend de l’état du trafic à chaque instant, car le centre européen travaille en symbiose avec les trois centres situés aux Etats-Unis (Côte est, Côte ouest et Midwest).
« Dès que vous publiez une photo, décrit Joel Kjellgren, elle est copiée et stockée en plusieurs lieux, par sécurité. Si elle est très partagée, une copie sera placée sur un serveur temporaire dit “chaud” [rien à voir avec le climat], proche des lieux où l’image va circuler. Puis, quand elle cesse d’intéresser les utilisateurs, elle est stockée sur un autre type de serveur, dit “froid”. »
Doublement des capacités
Il n’y a pas de serveur de longue durée à Lulea. Après un certain temps, les archives des Européens sont transférées aux Etats-Unis. De même, les profils personnels, qui permettent d’envoyer à chaque utilisateur des publicités ciblées, circulent et sont recalculés en permanence dans les différents centres. Le lieu géographique du stockage des données, cher aux juristes européens, n’a donc pas beaucoup de sens.
Lulea gère aussi une partie du trafic de Messenger et d’Instagram, des applications qui appartiennent à Facebook et sont intégrées dans son infrastructure. « Notre système peut sembler énorme, admet Joel Kjellgren, mais en fait il est plus rationnel et plus économe que si nos utilisateurs communiquaient avec une série de réseaux indépendants – courriels, SMS, services photo et vidéo concurrents, etc. »
De l’autre côté de la route, des équipes d’ouvriers et de techniciens terminent la construction d’un bâtiment quasiment identique : un second data center, qui sera mis en service avant fin 2016. Facebook va ainsi doubler sa capacité de traitement et de stockage à Lulea. L’entreprise mise sur une augmentation continue de son trafic au cours des prochaines années, notamment à cause de la vidéo, qui devient sa priorité.
Une électricité à des prix imbattables
Le climat a joué dans le choix de Facebook, mais ce n’était pas le seul argument. Le maire social-démocrate de Lulea, Niklas Nordström, énumère les avantages de sa ville : « D’abord, l’énergie. Grâce à ses quinze barrages hydroélectriques, notre compagnie d’électricité publique régionale produit deux fois plus de courant qu’elle n’en consomme et peut le vendre à des prix imbattables. Notre réseau est parfaitement fiable : la dernière panne remonte à 1970. »
La Suède va prochainement abolir sa taxe sur l’électricité pour l’industrie du big data, ce qui fera encore baisser le prix : « En plus, notre électricité est 100 % propre et renouvelable, un critère important pour Facebook qui soigne son image verte », glisse le maire.
Autre atout, la région possède un réseau de télécommunications en fibre optique à très haut débit. Construit au début des années 2000 par les collectivités locales pour l’industrie lourde, il est toujours en surcapacité. Facebook n’a bénéficié d’aucune subvention ni avantage fiscal, assure en revanche M. Nordström : « C’est juridiquement impossible et c’est très bien comme ça. Nous n’en avons pas besoin pour être attractifs. »
Lulea peut aussi se vendre comme un bassin de compétences, grâce à son université technologique et à un centre de recherche du groupe de télécommunications suédois Ericsson, installé ici de longue date. Pour parachever ce dispositif, l’Etat et la région viennent de créer dans la ville un laboratoire industriel qui servira à tester les nouveaux équipements liés à l’industrie des data centers.
Au total, la présence de Facebook devrait entraîner, en cinq ans, près de 2 200 emplois indirects et relancer des activités tertiaires comme l’hôtellerie. Pour les habitants, tout cela est presque normal : avec son taux de chômage à 2,8 % de lapopulation active, la région n’est pas à plaindre, avec ou sans le réseau social de Mark Zuckerberg.
Une base militaire abandonnée
Cela dit, Lulea s’est battu pour séduire le géant américain. Anne Graf, la directrice commerciale de l’agence Node Pole, chargée d’attirer les entreprises high-tech dans la région, retrace la genèse de l’affaire : « En 2009, nous avons appris queGoogle venait d’acheter une usine à papier en Finlande pour la transformer en data center. Nous nous sommes dit : pourquoi pas nous ? » Peu après, Lulea a envoyé une délégation aux Etats-Unis pour démarcher les grandes sociétés du Net.« Les gens de Facebook nous ont écoutés, ils sont venus voir sur place et tout s’est fait assez vite », affirme Mme Graf.
La présence de Facebook et l’activisme de Node Pole – le « hub » destiné à localiser les data centers dans cette partie de la Suède – attirent déjà d’autres investisseurs dans la région.
Dans la petite ville de Hortlax, le constructeur automobile allemand BMW est en train d’installer un data center pour ses simulations de crash-tests de voitures.
A Boden, à 35 kilomètres au nord de Lulea, une ancienne base militaire abandonnée, à l’aspect encore désolé, est en cours de transformation complète. La société à capitaux britanniques Hydro66 y a construit en 2015 deux centres de données ultramodernes de 50 mètres de long. Il sont recouverts de lattes rouges afin de ressembler à une ferme suédoise.
Le fondateur de cette entreprise, le Britannique Christiaan Keet, a choisi la région pour les mêmes raisons que Facebook : l’énergie renouvelable bon marché, l’espace disponible, le froid polaire…
Hydro66 est un prestataire qui loue ses services à des sociétés de tous les secteurs. Selon M. Keet, l’éloignement des grands centres n’est pas du tout un handicap : « Avec le développement des réseaux à très haut débit, les entreprises s’aperçoivent qu’elles ont intérêt à délocaliser le traitement de leur big data dans un endroit comme ici, plutôt que de les gérer en interne. En fait, nous proposons le modèle de Facebook à tout le monde. » Hydro66 va lancer cette année la construction de quatre nouveaux data centers à Boden, puis, si tout se passe bien, de huit autres au cours des années à venir – soit quatorze au total !
La base militaire désaffectée accueille un autre nouveau venu, plus mystérieux : KnCMiner, une entreprise anglo-suédoise de « minage » (production) de bitcoins, la cryptomonnaie la plus répandue dans le monde.
Chez KnC, on est loin toutefois de l’ambiance aseptisée et futuriste de Facebook. L’entreprise est installée dans trois anciens ateliers de réparation pour hélicoptères. Les vieilles machines-outils et les équipements militaires rouillés sont toujours sur place, à l’abandon.
Pour gagner des bitcoins, le « mineur » doit participer à la gestion de la « blockchain », le livre de comptes centralisé qui enregistre toutes les transactions, et résoudre des équations mathématiques qui deviennent de plus en plus complexes avec le temps.
Bientôt un site d’importance mondiale
Pour produire des bitcoins en 2016, il faut une puissance de calcul vertigineuse. Dans ses hangars, KnC fait tourner 24 heures sur 24 près de 65 000 ordinateurs spéciaux, conçus par une équipe suédoise et fabriqués en Chine. Ils effectuent au total 47 quadrillions de calculs par seconde, et dépensent autant d’électricité que les 20 000 habitants de Boden. Pour la ventilation, KnCMiner a simplifié le processus à l’extrême : on ouvre les portes des hangars et on laisse s’engouffrer le vent (et la poussière).
Le patron de KnC, Sam Cole, informaticien et homme d’affaires britannique qui vit entre Stockholm et Boden, affirme qu’à ce jour tout va bien : « Nous sommes le plus grand “mineur” d’Europe, nous réussissons à capter environ 5 % de la production mondiale, soit 180 bitcoins par jour. » Le cours actuel est de 480 euros pour 1 bitcoin.
L’avenir s’annonce pourtant compliqué. A partir de juillet 2016, le nombre de bitcoins créés chaque jour, qui est fixé par les algorithmes depuis l’origine, vachuter de moitié. « Notre seule chance de survie est que nos concurrents chinois et américains abandonnent avant nous, anticipe Sam Cole. Ensuite, si l’usage du bitcoin se généralise, son cours va monter et nos réserves prendront de la valeur. Sinon… »
Pendant ce temps, l’agence Node Pole continue à démarcher activement les entreprises de big data aux Etats-Unis et en Europe pour les attirer à Boden. Anne Graf a déjà en tête une nouvelle carte du monde : « Les réseaux planétaires de l’avenir vont se structurer autour d’une chaîne de nœuds stratégiques d’interconnexion et de traitement des données. Sauf exception, ils ne seront pas situés dans les grandes métropoles où tout est cher, mais dans des lieux propices comme ici. »
Dans quelques années, les Américains vont poser un câble sous-marin sous l’océan Arctique tout proche, qui reliera l’Amérique, l’Europe et l’Asie. Pour Anne Graf, aucun doute, Lulea sera l’un de ces « nodes » (nœuds) d’importance mondiale.
- Yves Eudes (Lulea (Suède), envoyé spécial)
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