Arrestata in Siria la celebre psicanalista Rafa Nached. Da Libération del 15.9.11 :
Rafa Nached, symbole de l’aveuglement du pouvoir syrien
La célèbre psychanalyse syrienne a été arrêtée samedi dernier sans raison et est actuellement enfermée dans la prison pour femmes de Damas.
Par QUENTIN GIRARD
«Je suis le docteur Rafa Nached. Je suis dans la prison pour femmes à Damas pour une raison que j’ignore. Je suis en train de découvrir une partie invisible de la société où je vis, et dont je suis responsable». Ce court texte en arabe a été posté par son mari ce jeudi après-midi sur son profil Facebook. Samedi dernier, la psychanalyste Rafa Nached devait se rendre à Paris pour voir sa fille enceinte et consulter des médecins pour des problèmes de santé.
Mais, arrivée à l’aéroport, elle n’a finalement jamais pu embarquer. «Ils procèdent à des contrôles avec nervosité. Ils ont des listes… On m’a pris mon passeport et on est parti avec…», a-t-elle eu le temps de raconter lors d’un dernier coup de téléphone. Puis, un blanc et la communication a été coupée.
Elle venait d’être enlevée par les moukhabarrat, les services secrets syriens. Rafa Nached, 66 ans, fondatrice de l’école de psychanalyse de Damas, n’est pas la première citoyenne disparue et emprisonnée, ni sans doute la dernière. Mais, grâce à la mobilisation autour d’elle, elle est en train de devenir un symbole de l’oppression du régime syrien. Son mari, le Dr Faysal Abdallah, célèbre historien, a écrit un communiqué pour raconter comment il s’est retrouvé à devoir errer de bureaux en bureaux pour savoir ce qui était arrivé à sa femme pour que systématiquement on lui rapporte la même information: «La Sécurité n’a aucune information. Si nous savions quelque chose, nous vous dirions avec exactitude ce qui s’est passé». Une pétition lancée par des psychanalystes et psychologues français appelant à sa «libération immédiate» a déjà recueilli plus de 2500 signatures.
Pendant plusieurs jours, son entourage est resté sans nouvelle. Finalement son mari a pu lui rendre visite en prison mercredi. «Les nouvelles sont rassurantes sur son état de santé, raconte un proche de la famille. Elle semble traitée aussi correctement qu’il est possible dans une prison syrienne. Mais nous avons peur qu’elle soit privée de ses médicaments».
«Jamais inquiétée par le régime»
Mercredi, elle aurait été inculpée «d’activités susceptibles d’entraîner une déstabilisation de l’Etat». Sauf que Rafa Nached, retournée avec son mari en Syrie en 1985 après des études en France à l’Université Paris Diderot, n’est pas une militante. Sa famille, du coup, s’interroge sur les raisons de cette arestation. «Son mari et elle n’ont jamais souhaité avoir une action politique en Syrie», raconte ce proche. Et jusqu’à samedi, elle n’avait jamais été inquiétée par le régime».
Depuis plusieurs mois toutefois, sentant monter la tension dans la capitale, elle qui est de confession musulmane organisait avec un prêtre de la communauté jésuite des groupes de parole ouverts à tous pour que les citoyens de la rue puissent exprimer leur angoisse. Le but était de partager, se confier, et se rendre compte que l’autre dans la salle pouvait aussi avoir peur. Cette activité était officielle, elle n’a jamais été cachée, il y a même eu une interview dans la presse syrienne. Lors d’un colloque en février 2011, elle avait prononcé un discours intitulé Dire l’indicible, pour réfléchir justement à la difficulté du dialogue dans la société syrienne. «Comment avons nous vécu cet “être ensemble“? Le respect mutuel était au centre de notre relation ; il s’est traduit par écouter, parler, questionner, accepter de fouiller dans notre mémoire riche de signification, vivante depuis cinq mille ans», écrivait-elle alors.
Radicalisation
Son arrestation montre la radicalisation du pouvoir qui ne s’en prend plus maintenant aux opposants avérés ou aux manifestants mais est prêt à embastiller sur un simple soupçon. Le message adressé aux intellectuels de Damas est clair: «Ne faites pas d’erreur».
«Parfois, les arrestations paraissent complètement absurdes, raconte un artiste syrien installé à Paris et en lien avec l’opposition. On ne sait pas ce qui est reproché à la personne, mais elle est interpellée pour effrayer. Le régime a toujours fait ça. S’attaquer à des gens visibles pour rappeler à l’ordre une communauté». Sauf qu’en ce moment, selon lui, cela risque de faire basculer «de plus en plus de gens modérés. Tout le monde maintenant a des proches qui ont été arrêtés».
Pour l’entourage de Rafa Nached, la situation est compliquée. Ceux qui sont en France ne peuvent rien dire ou presque au risque de la mettre en danger, mais aussi de menacer l’ensemble de sa famille à Damas. La FIDH a dénoncé ainsi le harcèlement des services de police contre les proches des opposants ou des personnalités, tactique habituelle des régimes totalitaires. Le frère d’un célèbre militant exilé aux Etats-Unis a par exemple été récemment arrêté sans aucune justification.
Il est difficile d’avoir des chiffres précis, mais selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, plus de 70.000 Syriens ont été interpellés en seulement six mois de contestation et plus de 15.000 personnes sont actuellement détenues. L’ONU dénombre 2.600 morts. Et, selon l’ONG Avaaz, qui a lancé une pétition recueillant plus de 450 000 signatures, 3 000 personnes, au moins, ont disparu.